La classe ouvrière et la guerre Israël-Palestine

Par Fredo Corvo et Aníbal

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Terreur du Hamas, terreur d’Israël, deux États capitalistes et impérialistes, tous deux dirigés contre le prolétariat de Gaza et d’Israël, et du monde entier.

En plus de la guerre apparemment sans fin en Ukraine et du nombre croissant de massacres dans le monde qui apparaissent à peine dans les médias, une autre guerre a éclaté dans et autour de l’État d’Israël. Les médias bourgeois et “sociaux” présentent les atrocités à la carte et les agrémentent, dans les talk-shows et les tweets, de concepts bourgeois qui ont depuis longtemps perdu leur sens: attaque et défense, terre et peuple, droit de la guerre, paix, autodétermination nationale, unité nationale, démocratie, droits de l’homme, etc. Les organisations de la gauche (bourgeoise) ont toutes cherché à nouveau leur place dans la participation idéologique d’un côté ou de l’autre de la ligne de front. D’autre part, plusieurs publications invoquant la gauche communiste italienne historique ont publié des déclarations sur la guerre entre Israël et le Hamas.[1] Dans ces déclarations, dans la grande majorité des cas, elles adoptent une position internationaliste prolétarienne. En bref :

  • Les deux parties à la guerre, Israël et le Hamas, sont bourgeoises, capitalistes et impérialistes.
  • La classe ouvrière, tant en Israël qu’au territoire d’Hamas, n’a aucun intérêt dans cette guerre inter-impérialiste dont elle paie le prix en vies humaines, en blessures, en traumatismes de guerre et en augmentation de l’exploitation et de l’oppression.
  • La classe ouvrière ne peut défendre ses propres intérêts que par une lutte indépendante contre sa propre bourgeoisie ; c’est le défaitisme révolutionnaire.

Le texte qui suit partage ces points de vue et les élargit pour inclure des questions sur lesquelles il existe des différences au sein des groupes de la Gauche communiste. À cette fin, ce texte s’appuie sur une analyse antérieure de la guerre en Ukraine[2] . Le texte s’abstient brièvement de donner toutes sortes de détails sur le contexte historique et la situation actuelle. Pour ceux qui ne s’y retrouveraient pas, il est fait référence à certains textes mentionnés dans la source à la note 1.

La guerre actuelle ne peut être comprise comme un simple conflit israélo-palestinien. Les attaques réciproques trouvent leurs racines non seulement dans l’histoire ou dans les tensions actuelles au Moyen-Orient, mais surtout dans les contradictions impérialistes croissantes à l’échelle mondiale. La solution ne se trouve pas non plus au Moyen-Orient, mais à l’échelle mondiale, dans la lutte du prolétariat international contre l’impérialisme mondial ; une lutte qui commence chez soi lorsque les travailleurs, en tant que classe, défendent massivement leurs conditions de vie – leurs salaires, leurs avantages sociaux, leurs soins de santé, leur éducation – contre les attaques du capital.

Les États-Unis, la Chine et la Russie sont également impliqués dans cette guerre, mais en arrière-plan, et ils espèrent le rester. Les conflits armés actuels autour d’Israël diffèrent sensiblement de la guerre en Ukraine en ce sens que la Russie n’y participe pas directement. Il s’agit jusqu’à présent d’une guerre par procuration, dans laquelle la Russie et la Chine, d’une part, et les États-Unis, d’autre part, jouent un rôle important. Mais ces superpuissances nucléaires ne veulent pas être directement impliquées dans cette guerre. Une implication directe pourrait déboucher sur une troisième guerre mondiale, et elles n’y sont pas encore tout à fait préparées.

La bourgeoisie locale

Depuis sa création, l’État d’ISRAËL a été l’un des principaux points d’appui de l’impérialisme américain au Moyen-Orient. En exerçant leur contrôle sur les ressources pétrolières et gazières et sur l’accès de l’Europe à l’Asie, les États-Unis ont traditionnellement contrôlé les puissances européennes auxquelles ils ont ravi le pouvoir mondial au cours des deux guerres mondiales. Sans le soutien des États-Unis, Israël ne pourrait pas exister. L’intérêt impérialiste d’Israël consiste, comme pour tout État ou État en formation, à vouloir profiter au maximum, à chaque guerre, de la redistribution des sphères d’influence dans le monde qui en résulte.[3] Ce faisant, Israël a choisi de combattre ses adversaires en s’alignant sur les États-Unis.

Toutefois, l’État israélien dispose également de son propre espace de manœuvre et, au sein de la bourgeoisie israélienne, il existe de sérieux désaccords quant à l’utilisation de cet espace au service des intérêts impérialistes de leur capital national et de leur État. La faction Netanyahou cherche non seulement à obtenir le rejet des poursuites judiciaires à l’encontre de sa figure de proue corrompue, mais aussi à poursuivre le développement d’un État religieux fort et d’une politique de colonisation en vue d’un Grand Israël. Le groupe des démocrates, libéraux et sociaux-démocrates souhaite également un État fort, mais en renforçant la tromperie démocratique, l’intégration partielle de ses citoyens palestiniens et une coopération limitée avec l’Autorité Nationale Palestinienne (ANP) en Cisjordanie.

Les factions de la bourgeoisie israélienne ont des relations différentes avec les États-Unis. Alors que Trump a soutenu la politique du Grand Israël de Netanyahou, la politique de Biden n’est pas tout à fait claire. Les États-Unis ont déployé des efforts pour rapprocher Israël et divers pays arabes au sein du bloc impérialiste américain, en particulier la SAOUDI-ARABIE. Le Hamas, avec ses attaques de mort et de destruction menées par ses combattants les plus fanatiques depuis Gaza contre les colonies israéliennes et ses tirs de roquettes jusqu’à Tel-Aviv, a pour l’instant saboté ces tentatives américaines visant à renforcer son bloc. Outre la TURQUIE – toujours à la recherche d’alliés pour restaurer l’Empire ottoman – l’IRAN soutient tout particulièrement le régime du Hamas dans la bande de Gaza. L’Iran fournit à la bande de Gaza des pièces détachées que les esclaves salariés palestiniens assemblent en roquettes dans des usines souterraines. L’Iran soutient en outre massivement le Hezbollah, qui menace ouvertement d’ouvrir un second front dans le nord d’Israël si ce dernier entreprend une offensive terrestre de grande envergure dans la bande de Gaza. Les États-Unis ont prévenu qu’une telle offensive pourrait durer neuf mois, ce qui est probablement trop long pour Israël. Ce n’est un secret pour personne que la Chine et la Russie entretiennent de bonnes relations avec l’Iran. Pour sa part, la Chine craint que le rapprochement de l’Arabie saoudite et d’Israël n’entrave l’itinéraire moyen-oriental de sa nouvelle route de la soie vers l’Europe et que l’approvisionnement de la Chine en pétrole saoudien ne soit menacé.

Comme la bourgeoisie israélienne, la bourgeoisie palestinienne se compose de multiples factions, qui diffèrent dans leurs préférences d’alliances avec les puissances régionales et mondiales en raison d’intérêts et d’évaluations bourgeois divergents. Le HAMAS a également bénéficié au départ d’un soutien limité de la part d’Israël contre l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), rivale et plus forte à l’époque. Aujourd’hui, la relation est inversée. L’OLP, en tant que parti au pouvoir au sein de l’Autorité nationale palestinienne (ANP) en Cisjordanie, a perdu une grande partie de sa crédibilité auprès du peuple palestinien en raison de ses rapports avec Israël et de la corruption (autour du président Mahmoud Abbas, également appelé Abou Mazen). Israël et le mouvement islamiste HAMAS, qui gouverne la bande de Gaza, se considèrent désormais comme des ennemis principaux.

Il n’y aura pas non plus d’indépendance pour la bourgeoisie palestinienne dans un avenir inimaginable (mais pas impossible) d’un État palestinien, comme dans la situation actuelle d’aspiration à un État. Pour le prolétariat arabophone qui “jouit” de droits civils de seconde classe en Israël, et qui vit en Cisjordanie, dans les camps de réfugiés de divers pays voisins et dans la bande de Gaza, la poursuite d’une Palestine “indépendante” signifie avant tout la soumission à l’exploitation et à l’oppression, à la terreur et à la guerre.[4]

La classe ouvrière en Israël

Le prolétariat en Israël – un État d’immigration – est traditionnellement divisé en fonction du pays d’origine et de la langue. Les derniers arrivés se voient généralement imposer les pires conditions de travail. À cela s’ajoutent les Palestiniens déjà mentionnés, dont les droits civils sont limités, et les travailleurs migrants quotidiens palestiniens de Cisjordanie et de la bande de Gaza, strictement surveillés par l’État d’Israël, son mouvement syndical Histadrut, le Hamas, l’ANP et le OLP. Les juifs orthodoxes et les résidents des kibboutz (transformés depuis longtemps en avant-postes militaires) sont en majorité les partisans de la poussée de Netanyahou en faveur d’un Grand Israël dans le cadre d’un État religieux encore renforcé. D’autres secteurs de la population s’y sont opposés, notamment lors de manifestations de masse organisées par les réservistes militaires, hommes et femmes, qui constituent une grande partie de l’armée de conscription d’Israël. La direction de l’armée et les services secrets ont exprimé leur inquiétude face à cette “division”.

Ce qui inquiète probablement encore plus la bourgeoisie israélienne, c’est la lassitude de la guerre sous-jacente cachée derrière les déceptions démocratiques dans lesquelles ce mouvement a été encadré. L’avertissement américain d’une offensive terrestre de neuf mois à Gaza et l’ouverture possible d’un second front, au nord, doivent également être compris dans le contexte de la fatigue de guerre antérieure. Temporairement perdue dans l’indignation suscitée par les attaques brutales du Hamas contre les colonies et le bombardement des villes israéliennes depuis Gaza et le Liban, l’histoire des révolutions à la fin de la Première Guerre mondiale a montré qu’il n’est pas impossible que la “lassitude de la guerre” revienne sous la forme de désertions croissantes, en particulier de soldats conscrits vers l’étranger, de grèves dans les entreprises, en particulier dans l’industrie de la guerre, de mutineries de soldats et, enfin, de nouvelles manifestations de masse.[5] Les chances d’unir les luttes des travailleurs ou des soldats israéliens et palestiniens sont cependant encore plus minces que celles des formes de lutte prolétarienne contre la guerre de part et d’autre de la ligne de front.

Cette évaluation, bien sûr, ne nie pas la nécessité pour les minorités internationalistes prolétariennes, même si elles sont peu nombreuses, d’alerter les travailleurs sur les causes capitalistes et impérialistes de la guerre et sur la nécessité d’intensifier la lutte des travailleurs, à la fois en Israël et dans les territoires environnants et dans le monde entier. Si, en dépit de la haine mutuelle semée par le Hamas et Israël[6] les travailleurs se mettent en mouvement en tant que classe, ces mêmes minorités sont également en mesure de jouer leur rôle historique dans ce qui pourrait alors être le début d’une révolution prolétarienne mondiale.

La classe ouvrière à Gaza

La situation des prolétaires de la bande de Gaza est bien plus grave que celle d’Israël et même que celle de la Cisjordanie. En grande partie au chômage et sans la perspective de l'”armée de réserve industrielle” du 19e siècle pour éventuellement, après une ou plusieurs générations trouver de travail salaire, les chômeurs d’ici pourrissent partiellement en tant que prolétariat lumpen. La bourgeoisie palestinienne qui contrôle la bande de Gaza par la terreur et l’idéologie islamique sélectionne soigneusement les jeunes les plus fanatiques et les plus brutaux pour les groupes de combat, et déploie des prolétaires moins fanatiques mais plus précis pour le travail d’esclave dans l’assemblage souterrain des roquettes. Parmi la masse des chômeurs, ce sont surtout les femmes qui, comme dans d’autres guerres[7] , ont commencé à protester contre le Hamas. Ce sont toujours les femmes qui sont les premières à bouger malgré la terreur parce qu’elles voient leurs enfants grandir sans avenir pendant souffrir de la faim, dans ce cas-ci même du manque d’eau, et les services sociaux défaillantes. Le déclenchement des hostilités et les bombardements intensifs ont mis fin à ces manifestations, couvertes par le nationalisme et la haine d’Israël. Mais comme en Israël, il y a une petite chance qu’elles reprennent et qu’elles soient suivies de désertions, de grèves dans l’assemblage de roquettes, de mutineries et finalement de soulèvements contre le Hamas. Les tâches des révolutionnaires internationalistes sont les mêmes que celles que nous avons décrites plus haut. Ici aussi, le slogan trompeur de la gauche bourgeoise sera invoqué – d’abord repousser l’attaque de l’ennemi et ensuite s’occuper de l’ennemi interne. Ici aussi, le mot d’ordre révolutionnaire est : poursuite et intensification de la lutte prolétarienne, même si elle conduit à la défaite de la “propre” bourgeoisie dans la guerre impérialiste.

La classe ouvrière dans la région et dans le monde

Étant donné que le prolétariat de Gaza et d’autres régions palestiniennes, comme celui d’Israël, est dominé par la haine, la terreur d’État et le nationalisme, nous ne pouvons pas nous attendre à ce que ce prolétariat se soulève contre sa “propre” bourgeoisie. Mais si cela se produit, nous le soutiendrons pleinement. Ce soutien n’est possible que si nous soutenons déjà concrètement la lutte des travailleurs dans le monde entier.

Les soulèvements prolétariens dans la région, par exemple en Iran et en Turquie, sont plus probables. Et en Chine, en Europe et en Amérique du Nord. Chaque bourgeoisie nationale se prépare à une troisième guerre mondiale entre la Chine et les États-Unis en intensifiant l’exploitation et l’oppression. La vague révolutionnaire à la fin de la Première Guerre mondiale a commencé par des manifestations de femmes dans les rues, puis par des grèves dans l’industrie de l’armement et des désertions massives, suivies de mutineries et de soldats formant des conseils et partageant leurs armes avec le prolétariat urbain menant des grèves massives. Nous ne pouvons pas attendre la révolution prolétarienne. La révolution prolétarienne mondiale se prépare dans les luttes prolétariennes défensives quotidiennes pour les intérêts de classe immédiats. La fonction des minorités révolutionnaires dans cette lutte est d’indiquer la voie à suivre sur la base de leur compréhension de l’ensemble du mouvement que le prolétariat accomplit vers la société mondiale sans classes, vers l’association de producteurs libres et égaux.

25-10-2023, Fredo Corvo, Aníbal

Pour nous contacter:


[1] Pour des aperçus, voir la section des nouvelles hebdomadaires Nouvelles des sites internationalistes avec des résumés et des citations d’articles recommandés pour l’étude et la discussion : https://leftdis.wordpress.com/news-from-internationalist-sites/.

[2] Fredo Corvo, Aníbal en materia, War, exploitation, and capitalist domination : how and why to fight them ? https://arbeidersstemmen.wordpress.com/2022/04/22/oorlog-uitbuiting-en-kapitalistische-overheersing-hoe-en-waarom-ze-te-bestrijden/.

[3] En particulier, cette analyse remonte à Herman Gorter, Imperialism, World War and Social Democracy (1914) : https://www.marxists.org/nederlands/gorter/1914/imperialisme/index.htm. Pour les différences avec la vision de l’impérialisme de Lénine et une application à la guerre en Ukraine, voir F.C., The Inter-imperialist War in Ukraine. De Luxemburg, Pannekoek, Gorter et Lénine au “Raden communism” : https://arbeidersstemmen.wordpress.com/2022/04/08/de-inter-imperialistische-oorlog-in-oekraine/

[4] Anton Pannekoek a averti en 1912 que les luttes pour l’indépendance nationale ne servaient que les intérêts bourgeois et que “…les antagonismes nationaux sont un moyen exquis de diviser le prolétariat, de détourner son attention de la lutte des classes par des slogans idéologiques et d’empêcher son unité de classe”. Voir Pannekoek, Lutte de classe et nation : https://www.marxists.org/francais/pannekoek/works/1912/00/pannek_19120000.htm.

[5] Voir, par exemple, Ph. Bourrinet, Le mouvement des conseils en Russie & Finlande, Allemagne, Autriche & Hongrie, 1917-1919: http://left-dis.nl/f/ConseilsDansLesTroisRevolutions.pdf.

[6] Henriette Roland Holst – Van der Schalk soulignait déjà en 1916 la division de la classe ouvrière par la violence dans la lutte des classes, et en particulier la violence impérialiste à la fois dans la guerre inter-impérialiste et dans les guerres de libération nationale (qu’elle soutenait). Voir Henriette Roland Holst, Les luttes de la révolution sociale. En livre néerlandais: https://arbeidersstemmen.wordpress.com/2023/09/03/twee-boeken-rond-de-revolutie-in-rusland/. En PDF néerlandais gratuit : http://left-dis.nl/nl/RolandHolst_StrijdmiddelenDerSocialeRevolutie.pdf. Comme livre en Allemand: Die Kampfmittel der sozialen Revolution (1918): https://arbeiterstimmen.wordpress.com/2023/09/14/h-roland-holst-die-kampfmittel-der-sozialen-revolution-1918/.

[7] Voir Bourrinet et Roland Holst dans les notes 5 et 6.

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4 Comments on “La classe ouvrière et la guerre Israël-Palestine

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